Un enfant intègre le marché du travail sans poursuivre d’études post-secondaires ? La tentation peut être grande pour ses parents de nommer comme bénéficiaire(s) du régime enregistré d’épargne-études (REEE) un autre enfant ou eux-mêmes. Mais si la décision est précipitée, ou si le changement de bénéficiaire n’est pas suffisamment préparé, la famille a beaucoup à perdre. Voici les écueils à éviter.
Bien entendu, quand l’enfant bénéficiaire d’un REEE affirme qu’il n’entend pas continuer son parcours scolaire, la première pensée des souscripteurs – ses parents, ses grands-parents ou tout autre adulte – peut être de vouloir faire profiter une autre personne des ressources accumulées dans le régime.
« On peut souscrire un REEE quand l’enfant est très jeune, mais on ne sait pas à l’avance s’il poursuivra des études post-secondaires », souligne Véronique Guimond, coordonnatrice en développement des ventes à Universitas.
Fréquents retours aux études
Pourtant, les souscripteurs devraient y réfléchir à deux fois. Il est devenu courant de voir un enfant interrompre sa scolarité… avant de la reprendre dix ou vingt ans plus tard, au moment d’une réorientation professionnelle. « Il y a tellement d’offres de cours, constate Charles Hunter-Villeneuve, planificateur financier et auteur de la bande dessinée Lire et Tirelire. Les jeunes ont ainsi plus de possibilités de poursuivre leurs études. De plus, le REEE est une motivation supplémentaire s’ils savent que de l’argent les attend! »
La réflexion est d’autant plus nécessaire que le REEE a une durée de vie relativement longue. « Il peut rester ouvert pendant 35 années, pointe Chantal Lamothe, conseillère experte en planification financière à la Banque Nationale. Cela laisse le temps de faire fructifier le capital jusqu’à un retour ultérieur aux études. »
En conservant le même bénéficiaire du REEE, le souscripteur s’assure que l’épargne continue d’accumuler du rendement, et possiblement des subventions gouvernementales, qui seront disponibles au moment d’une possible reprise de la scolarité, même pour un seul semestre.
L’enfant peut aussi récupérer le REEE après avoir décidé d’interrompre ses études, mais il devra procéder rapidement. « Le bénéficiaire dispose de six mois après l’arrêt de ses études pour demander le versement des montants », indique Charles Hunter-Villeneuve. Il pourra alors les utiliser comme il le souhaite, sans attendre de reprendre des études ultérieurement.
Pour cela, il devra cependant respecter le plafond de retrait de 5 000 $ au total pour les 13 premières semaines suivant le début de ses études (2 500 $ s’il était inscrit à des études à temps partiel d’au moins 12 heures par mois). Par exemple, s’il a arrêté de fréquenter un établissement scolaire après cinq semaines d’études, il devra tout de même respecter le plafond pendant huit autres semaines. Par la suite, il peut retirer autant qu’il le souhaite.
Changer de bénéficiaire?
Une fois cette réflexion faite, il est parfois préférable de nommer un autre bénéficiaire au REEE. Peut-être qu’un autre enfant du ménage entend poursuivre des études post-secondaires à court terme. Peut-être que le souscripteur lui-même s’apprête à retourner sur les bancs d’école.
Durant un transfert de REEE, le souscripteur n’a qu’une seule certitude : l’opération ne viendra pas entamer les cotisations déjà versées. « Le capital appartient toujours au souscripteur, donc il y a toujours accès sans impôt ni pénalité », détaille Chantal Lamothe. Mais les intérêts, les subventions gouvernementales et le Bon d’études canadien (BEC) pourraient bien disparaître.
Le REEE au décès
Quand le bénéficiaire d’un REEE décède, le souscripteur peut nommer un nouveau bénéficiaire ou démanteler le régime. Si le REEE est familial, il peut se perpétuer avec les bénéficiaires restants.
Les choses sont plus compliquées au décès du souscripteur. Le bénéficiaire n’hérite pas automatiquement de son REEE. Le régime fait partie de la succession du souscripteur. « Ses héritiers recevront le REEE et décideront de le garder ou de le fermer. Ce sera selon leur bon vouloir, précise Chantal Lamothe. Il faudra alors effectuer un changement de souscripteur. »
Mme Lamothe suggère aux clients de nommer chaque bénéficiaire dans leur testament. « Ils devraient indiquer que chacun hérite de son REEE », souligne-t-elle.
Le bénéficiaire deviendra alors souscripteur de son propre REEE, ce qui est possible s’il est âgé d’au moins 18 ans. Sinon, il convient de préciser au testament que la succession gérera le REEE jusqu’aux 18 ans de l’enfant, faute de quoi le régime pourrait plutôt être supervisé par un conseil de tutelle. « Si le bénéficiaire n’est pas nommé dans le testament, il peut très bien ne rien recevoir de son REEE », met-elle en garde.
Préserver les montants
Que le REEE soit individuel ou familial, c’est en effet la situation du nouveau bénéficiaire qui va déterminer si les différents montants peuvent être transférés.
Pour que les subventions demeurent dans un REEE individuel et qu’il n’y ait pas d’impôt prélevé sur les revenus de placement accumulés, le nouveau bénéficiaire doit être âgé de moins de 21 ans, et être le frère ou la sœur du bénéficiaire précédent, ou encore avoir un lien de sang ou d’adoption avec le souscripteur. Un grand-parent peut ainsi désigner un de ses petits-enfants comme nouveau bénéficiaire, sans que celui-ci soit le frère ou la sœur de l’ancien bénéficiaire.
Lors d’un tel changement au REEE individuel, les cotisations effectuées pour le premier bénéficiaire sont considérées avoir été faites pour le nouveau bénéficiaire à la date initiale du versement, et non pas à la date du transfert, précise Chantal Lamothe.
Mais attention aux cotisations excédentaires si le nouveau bénéficiaire a déjà un REEE ! On ne peut pas dépasser un plafond de 50 000 $ de cotisations par bénéficiaire. Un impôt de 1 % par mois s’appliquera sur tout surplus au-dessus de cette limite jusqu’à ce qu’il soit retiré du compte.
Les revenus de placement du REEE sont conservés lors du changement de bénéficiaire. Si aucun versement (paiement d’aide aux études, ou PAE) ne peut être fait au bénéficiaire, on peut transférer les revenus du REEE vers le REER du souscripteur ou celui de son conjoint en vertu d’un paiement de revenu accumulé (PRA), souligne Mme Lamothe. Si aucun PAE ne peut être fait et que le transfert vers le REER est impossible, les rendements seront imposables au moment de la fermeture du régime.
Régime familial
Le régime familial, lui, peut être fractionné en régimes individuels. De la même façon, des régimes individuels peuvent être combinés dans un régime familial si les règles précédemment énoncées visant les bénéficiaires sont respectées, relève Chantal Lamothe.
Les règles peuvent sembler plus souples pour transférer un REEE individuel existant vers un régime familial, car il comprend plusieurs bénéficiaires, poursuit la planificatrice financière. Mais ceux-ci doivent obligatoirement tous être liés au souscripteur par le sang ou par l’adoption. Sinon, aucun montant ne pourra être transféré : ni les subventions, ni les revenus de placement, ni même les cotisations.
L’ancien et le nouveau bénéficiaire doivent donc être frères ou sœurs, ou avoir tous deux des liens de sang ou d’adoption avec le souscripteur : ils peuvent être ses enfants, ses petits-enfants, ses frères ou sœurs… Mais le nouveau bénéficiaire ne peut pas être le souscripteur lui-même, ni son conjoint, ni aucune autre personne avec laquelle le souscripteur n’a aucun lien de sang ni d’adoption.
Subventions généreuses
Dans le cas des régimes individuels comme familiaux, si ces conditions ne sont pas respectées, les subventions gouvernementales devront être remboursées.
« Les gens ne sont pas conscients qu’ils peuvent aller chercher un maximum de subventions en cotisant 2 500 $ par année. Ça vaut la peine! »
– Véronique Guimond
Or, elles peuvent représenter des montants importants, qui seront alors perdus. La Subvention canadienne pour l’épargne-études (SCEE) s’élève à 20 % des cotisations annuelles jusqu’à l’année des 17 ans du bénéficiaire, pour un maximum de 500 $ annuellement et un plafond cumulé de 7 200 $ par bénéficiaire. De son côté, l’incitatif québécois à l’épargne-études (IQEE) atteint 10 % des cotisations annuelles jusqu’à la même limite d’âge que le SCEE, pour un maximum annuel de 500 $ et un plafond cumulatif de 3 600 $.
« Les gens ne sont pas conscients qu’ils peuvent aller chercher un maximum de subventions en cotisant 2 500 $ par année, regrette Véronique Guimond. Ça vaut la peine ! »
Ces subventions peuvent être bonifiées pour les familles à faible revenu, jusqu’à 100 $ de plus par année pour la SCEE et jusqu’à 50 $ de plus par année pour l’IQEE. Et c’est sans compter sur le Bon d’études canadien, qui peut ajouter jusqu’à 2 000 $ par bénéficiaire… Cette aide est versée jusqu’à l’année des 15 ans de l’enfant, si les parents reçoivent le Supplément de la prestation nationale pour enfants.
Il peut être particulièrement avantageux de transférer les montants d’un REEE au sein de la fratrie pour permettre à chacun de recevoir davantage de subventions gouvernementales. On peut ainsi profiter à deux reprises des subventions avec le même montant de cotisations au REEE. Lorsque l’aîné en est à fréquenter un établissement postsecondaire, on retire un montant en capital libre d’impôt et on cotise ce même montant au REEE du cadet, qui accumule des subventions à son tour, précise M. Hunter-Villeneuve. Le même argent, transmis en cascade de l’un à l’autre, fait donc profiter chaque enfant de subventions.
« Le REEE est hyper avantageux, mais les familles ne le connaissent pas assez. »
– Charles Hunter-Villeneuve
Cela suppose bien entendu que l’aîné n’aura pas besoin de ces montants plus tard.
« Le REEE est hyper avantageux, mais les familles ne le connaissent pas assez », ajoute-t-il.
À noter qu’une formation tirée de sa bande dessinée sera offerte sous peu sur le site web du Conseil des professionnels en services financiers et permettra d’obtenir des unités de formation continue.
Du REEE au REEI
Du REEE au REEI Si le bénéficiaire d’un REEE devient invalide et qu’il ne compte pas poursuivre d’études post-secondaires, le souscripteur peut transférer le montant du REEE dans son régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI). Mais seuls le capital et les revenus accumulés sont transférables, pas les subventions gouvernementales.
Le souscripteur veut ravoir les sommes versées
Le souscripteur âgé de plus de 21 ans peut décider de récupérer les montants du REEE individuel dont bénéficiait son enfant ou son petit-enfant et les ajouter à son propre régime, ou encore s’en créer un en vue de poursuivre des études. Il perdra alors les subventions en raison de son âge et « il devra faire au moins un semestre d’études… faute de quoi ses revenus accumulés seront imposables », prévient Chantal Lamothe.
Le souscripteur peut aussi décider d’encaisser les fonds dans son compte bancaire, hors REEE. Les rendements accumulés au régime s’ajouteront donc à son revenu imposable, le capital cotisé demeurant non imposable. Faute d’avoir respecté le principe du REEE, qui est de financer des études post-secondaires, il se verra infliger une pénalité d’impôt équivalente à 20 % des gains accumulés, à savoir 12 % au fédéral et 8 % au provincial.
La solution est dans le REER
Pour le souscripteur, mieux vaut alors transférer le REEE vers son propre REER. « C’est la solution la plus avantageuse pour éviter l’imposition », précise Chantal Lamothe. Pour cela, il devra cependant respecter le plafond de ses droits de cotisation au REER, sinon l’administration fiscale viendra le pénaliser sur le surplus. Il ne peut pas transférer plus de 50 000 $, ce qui correspond de toute façon au plafond de cotisations à un REEE. Et les subventions ne sont pas transférables.
Enfin, en général, les institutions financières n’exigent pas de frais d’ouverture ni de fermeture de REEE individuel et familial. Mais certains promoteurs peuvent facturer en cas de transfert d’un REEE collectif, offert notamment par Universitas, Global et CST, vers un concurrent. Et la note peut être parfois élevée. Une souscriptrice s’est déjà vu imposer des frais de 1 700 $ pour transférer un REEE dans lequel elle avait versé 7 000 $ en cotisations, a révélé La Presse en 2015[1].
De manière générale, la souscription d’un régime du genre est habituellement plus contraignante et plus coûteuse que celle des REER individuels et familiaux. Mieux vaut se renseigner avant d’ouvrir le compte pour éviter une facture salée au moment du transfert…
Au Québec, près de 1 élève sur 5 quitte l’école secondaire sans avoir obtenu de diplôme. Cela représente annuellement entre 10 000 et 15 000 élèves. Quelque 71 % des décrocheurs sont des garçons.
Source : Réseau d’information pour la réussite éducative
[1] La Presse, Les menottes de l’épargne-études, bit.ly/2Ffy490