Si les régimes enregistrés d’épargne-retraite font désormais partie du paysage québécois de l’après-vie active, les campagnes de promotion qui les font mousser occultent certaines de leurs (importantes) limites, selon l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).
Dans une analyse publiée dans le dernier bulletin de l’Observatoire de la retraite, créé par l’IREC, Riel Michaud-Beaudry estime en effet que la publicité « tait généralement le fait que ces produits font reposer tous les risques financiers sur les épaules des individus ». Avec le recul, ajoute-il, il apparaît également qu’elle a « surtout contribué à rendre acceptable l’individualisation progressive des risques financiers associés à la retraite, une tendance lourde que l’on constate dans les politiques publiques concernant la sécurité financière des personnes vieillissantes ».
Affirmant qu’il souhaite aller « au-delà des lieux communs concernant la flexibilité des REER », le chercheur à l’Observatoire entend « mettre en lumière les limites associées à cette formule d’épargne-retraite individuelle » afin d’envisager des améliorations ou des innovations institutionnelles qui pourraient être mises de l’avant pour les surmonter. Autrement dit, résume-t-il, il s’agit d’« imaginer des scénarios d’amélioration axés plutôt sur les besoins des personnes que sur la rentabilité du secteur financier ».
INDIVIDUALISATION DES RISQUES FINANCIERS
Insistant sur le fait que les REER « sont des régimes où les risques liés à l’épargne sont entièrement assumés par les individus », Riel Michaud-Beaudry estime que ces produits financiers sont problématiques pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’ils constituent un risque en matière de rendements. En effet, souligne-t-il, dans les périodes de crises financières ou de récession économique, ou encore dans un environnement de faibles taux d’intérêt, ils se retrouvent « fortement exposés aux aléas des marchés ». La raison? « Comme les REER ne sont pas dotés de mécanismes permettant de mutualiser et de répartir le risque financier, chaque cotisant doit assumer la possibilité de voir son capital diminuer. »
Or, relève le chercheur, cet aspect de la question est d’autant plus crucial que « ce capital doit servir à soutenir financièrement la retraite, période de la vie où le caractère stable et prévisible des revenus est très important ». Tous les Québécois qui comptaient sur leurs REER pour compléter leurs rentes de retraite lors de la crise financière de 2007-2008 l’ont d’ailleurs appris à leurs dépens, observe-t-il.
D’autre part, poursuit Riel Michaud-Beaudry, le risque dit « de longévité » est couru individuellement par les cotisants. Rappelant que le REER « consiste en un capital devant être retiré annuellement selon une espérance de vie probable », il note qu’« une personne survivant à son capital verra cette source de revenu se tarir » au fil des ans, et qu’elle aura donc des revenus moins élevés durant les dernières années de son existence. Ce risque touche plus particulièrement les femmes, qui ont une espérance de vie plus élevée que leurs compagnons, ajoute-t-il. De même, l’analyste pointe le fait que « si un rentier décède avant d’avoir épuisé son capital dont il n’aura pu profiter entièrement, une bonne partie des REER accumulés sera imposée à un taux marginal élevé, car l’ensemble du régime accumulé doit être inclus au revenu du rentier décédé, sauf s’il s’agit d’un conjoint ».
DES LIMITES ASSOCIÉES À LA GESTION DU CAPITAL
Enfin, Riel Michaud-Beaudry estime risqué le fait que les investisseurs individuels qui détiennent un REER « confient généralement à des insitutions financières privées le soin de gérer leurs comptes individuels ». D’après lui, cette formule présente en effet deux principales limites, « qui affectent directement le niveau de rendement des placements ». La première concerne les stratégies de gestion des actifs, car « même si les choix de placement sont réalisés de manière responsable, les cotisants (…) sont pénalisés par une répartition d’actifs de plus en plus [prudente] avec l’âge afin de mitiger les risques inhérents aux placements boursiers ». Résultat : leurs portefeuilles d’investissement comportent de moins en moins de produits risqués et à croissance élevée (des actions, par exemple) à mesure qu’ils approchent de la retraite, au profit de produits à revenus fixes et stables (bons du Trésor ou obligations).
La seconde limite est liée aux frais de gestion, car ceux-ci « peuvent gruger une part importante des rendements financiers ». Selon des donnés de l’Organisation de coopération et de développement économiques reprises par le chercheur, des frais annuels de 2 % réduisent ainsi de 37 % l’accumulation de l’épargne, ce qui ne laisse que 63 % à l’investisseur. Alors que les frais de gestion servent officiellement à couvrir les coûts des produits offerts par les institutions financières, Riel Michaud-Beaudry soutient que la réalité est bien différente. Et pour appuyer son propos, il cite un rapport sur la performance des fonds d’investissement de Morningstar, qui classe le Canada au dernier rang des 25 pays étudiés en matière de frais de gestion.
« Ainsi, vraisemblablement, les sommes englouties individuellement et collectivement dans les REER bénéficient d’abord aux institutions financières privées », conclut le chercheur. Avec des frais de gestion compris entre 0,5 % et 2,5 %, selon les Normes d’hypothèses de projection pour 2017 de l’Institut québécois de planification financière (IQPF), celles-ci « s’accaparent une portion considérable des rendements financiers des épargnants », dénonce-t-il.
« LES RISQUES SONT SOUVENT PEU CONNUS OU MAL COMPRIS »
Pour renforcer sa théorie, l’analyste prend l’exemple du Régime de rentes du Québec (RRQ) et des frais de gestion des fonds de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui sont de 0,2 % seulement. « La mutualisation des risques a permis à la Caisse d’afficher un taux de rendement réel annuel moyen de l’actif du RRQ de 9,2 % entre 2011 et 2016, net de frais de gestion. En guise de comparaison, l’IQPF a pour hypothèse un taux de rendement réel net de frais de gestion de 2,75 % pour un portefeuille dynamique pour l’année 2017-2018, ce qui place les rendements issus de portefeuilles individuels nettement en dessous de ceux gérés par la CDPQ », détaille Riel Michaud-Beaudry.
« Ces coûts moins élevés que ceux d’un fonds commun de placement s’expliquent par le pouvoir de négociation dont dispose la CDPQ sur les marchés financiers, ainsi que par l’absence de dépenses de publicité, de marketing, ou de conseils aux clients individuels. L’individualisation et la personnalisation des stratégies financières entraînent des coûts. (…) Cela démontre que la gestion individuelle des actifs est très coûteuse pour les épargnants », affirme le chercheur.
Sa conclusion? « En plus d’être fiscalement désavantageux pour une bonne partie de la population et d’offrir plus d’aide aux mieux nantis dans la constitution de leur patrimoine, les REER exposent les épargnants à plusieurs types de risques. Or, ces derniers sont souvent peu connus ou mal compris par le commun des mortels. »